La vocation du Capitaine Levain

– J’écrirai au JE mais c’est un NOUS incluant mon âme soeur, la femme de ma vie et la pâtissière du Capitaine Levain –

– Céline est venue joindre son indignation à la mienne et c’est cette révolte qui nous inspire –

Il s’agit ici d’expliquer la raison d’être du Capitaine Levain, sa vocation, sa mission au-delà de la rentabilité. Je rêve d’un mode de vie sain, empathique et en lien serré avec sa communauté. 

J’ai toujours eu ce cri du coeur pour l’aspect le plus vital de notre existence qu’est notre alimentation, ex equoe avec le sommeil et l’activité physique. Depuis mon éveil à une alimentation saine, je ne cesse de combattre la nourriture-polluée, les chaînes de bouffe-crasse et les grands centres épiciers à aubaines-à-ne-pas-manquer. Simplement jeter un oeil sur les paniers d’épicerie du consommateur moyen dans n’importe quelle grande surface et les bras vous en tomberons du corps. L’incroyable quantité de nourriture déraisonnablement sucrée, salée, grasse et chimique (pour ne nommer que ceux-là) que vous y retrouverez devrait suffir à vous indigner. Vous savez bien à ce moment de réalisation que des enfants mangerons probablement ces pizza-pochettes, ces sodas jaune-orange, cette crème glacée substances laitières modifiées et ces repas congelés.

Je ne fais pas du pain que pour le plaisir de mettre mes doigts dans une pâte vivante mais aussi pour faire ma part. Je désire ardemment instaurer un mouvement au Québec pour une boulangerie sensée, qui est là pour supporter une alimentation intelligente. Remettre le pain sur la carte et piétiner sauvagement les industriels-boulangers-machines qui nous servent du pain pas cuit, bourré d’additifs toxiques et complètement vidé de toute substances nutritives. Je veux aussi combattre cette boulangerie qui se dit artisanale alors qu’elle ne l’est pas une miette, qui utilise ce terme pour faire gober au gens qu’ils mangent un produit bon pour leur santé et qu’ils encouragent un fier artisan. Quel mensonge éhonté.

– Il faut écraser ses valeurs quand il faut produire d’énormes quantités –

Ce qui m’amène à ma vocation.

Je veux redonner ses lettres de noblesse à la boulange, qu’on cesse de voir le pain comme un simple support. Le pain peut être aussi varié que la bière et le thé. On peut jouer à l’infini avec les saveurs, la cuisson et les procédés de fermentation. On peut déguster les yeux fermés un bon pain comme un vin raffiné. Mais comme tous les québécois, j’ai été habitué à un pain mou, sans charme et sans parfum. Le temps est venu de découvrir le plaisir instinctif de manger un pain vrai.

La guerre au gluten peut entrer en trêve. Une conciliation est possible et même souhaitable entre notre corps et l’ennemi de notre génération. L’entente n’est envisageable que si le pain redevient ce qu’il était avant la révolution industrielle, c’est-à-dire une base de notre alimentation, une fondation saine et savoureuse.

Je ne veux aucun compromis sur la qualité de mon pain mais aussi sur mon mode de vie familial. Siméon, Lou et Céline sont la priorité et la raison de ma vie. Pour leur accorder tout le temps et l’amour qu’ils méritent, je me dois d’être bien dans ma peau. Pour être bien dans ma peau, je ne dois avoir aucun regret. Travailler avec des aliments conventionnels, avec des machines et des levures fabriquées en laboratoire m’apporterait des regrets. Être conscient et malgré tout vendre des pains gorgés de matières peu recommandables m’apporterait aussi des regrets. Comment dormir la nuit? 

C’est pourquoi j’ai choisi de ne pas travailler de nuit pour offrir du pain frais à 7h le matin; c’est pourquoi je veux livrer mes pains avec la formule des paniers pour ne pas jeter les produits invendus; c’est pourquoi je ne fais pas de rabais de la semaine dans une circulaire, me permettant un revenu au-dessus du salaire minimum; c’est pourquoi mes pains sont d’aspect variable pour ne pas m’uniformiser ce qui empêcherait le vivant de nous réserver des surprises; c’est pourquoi je veux rester à l’échelle humaine pour ne pas me faire une place envers et contre tous dans le monde des grands.

Être dans le monde des grands voudrait dire que je pourrais baisser mes prix, produire plus, avoir des employés, offrir une plus grande variété de produits, élargir ma distribution, etc. Mais à quel prix? L’artisan met les mains à la pâte et est à l’écoute de la vie qui opère avec la fermentation. Je mets mon âme et mon coeur dans mes pains.

Produire plus pour vendre moins cher est un suicide d’entreprise. Cela peut fonctionner mais celle-ci se vide de son sens premier. Royaliser le client comme certains me suggère ne servirait qu’à me diluer. Je veux des partenaires convaincus et fiers. J’ai besoin de leur monnaie comme ils ont besoin de mon pain. C’est un échange, un dialogue, une alliance pour une vie saine. Tout n’est pas permis à celui qui possède l’argent.

Vous savez maintenant pourquoi je veux persévérer dans ma vocation, c’est celle que j’ai choisi et c’est la seule possible.

Humblement,

Capitaine Ghislain